Publié le 16.09.2024 dans Les étapes de la vie, Santé mentale

La tête en ébullition

Ricky (49 ans) et sa fille Adele (14 ans) vivent avec un TDAH. Lors de l’entretien, elles nous parlent de leur diagnostic, de leur quotidien avec le TDAH et des stratégies qui les aident à exploiter leur énergie créative et à apprécier leurs aptitudes particulières.
Interview mit Mutter und Tochter

Comment vous décririez-vous en tant que famille?

Ricky:Je dirais que nous sommes sauvages et fous. Mais quand les choses se compliquent, nous nous serrons les coudes. Nous sommes émotionnellement très liés les uns aux autres.  Adele: Je trouve qu’on va bien ensemble en tant que famille. En ce moment, c’est un peu tendu avec les vacances et le travail et tout, mais je suis très contente.

Quand un TDAH a-t-il été diagnostiqué chez vous deux?

Ricky:J’ai été diagnostiquée à 38 ans, c’est-à-dire il y a onze ans. En fait, j’étais en traitement à cause d’une dépression due à l’épuisement – j’avais deux jeunes enfants, je travaillais à 60 %, je devais faire les trajets domicile-travail et mon équipe était chroniquement en sous-effectif. Je me sentais complètement lessivée. La psychologue m’a proposé un bilan de TDAH, parce que j’avais toujours ce besoin frénétique de combler tout le monde et toujours des milliers d’idées. Le diagnostic a été un choc pour moi. Mais ensuite, tout m’est apparu clairement: je comprends évidemment bien mieux maintenant pourquoi je n’arrive jamais à trouver le calme, pourquoi en étant certes très créative et polyvalente, je ne peux jamais m’attarder longtemps sur une seule chose, pourquoi je m’ennuie vite et pourquoi j’ai pensé toute ma vie que j’étais un peu folle et que j’en faisais tout simplement trop pour le reste du monde.

Était-ce malgré tout un soulagement?

Ricky:Oui, bien sûr. J’étais soulagée de me rendre compte que je n’étais pas folle ou malade, mais que dans ma tête, le traitement des stimuli fonctionnait tout simplement différemment.  D’un côté, cette différence te permet de faire des choses que les autres ne peuvent pas faire, mais de l’autre, elle est aussi pénible.

Comment ça s’est passé pour toi, Adele?

Adele:J’avais des problèmes de concentration à l’école. Et puis ma mère m’a dit que je devais aller voir un psychologue pour enfants. Les tests ont révélé que j’avais un TDAH. Je ne trouve pas ça génial, mais je dois vivre avec. 

Ricky:Dans un premier temps, seule une tendance au TDAH a été constatée chez Adele. Mais il y a environ neuf mois, c’est-à-dire deux ans après le premier diagnostic et juste au moment où elle a atteint la puberté, les symptômes sont devenus plus évidents. Elle avait des blocages d’apprentissage, ne pouvait pas aller à l’école et appliquait des stratégies d’évitement. C’était difficile, surtout parce qu’elle n’en parlait pas. À un moment donné, j’ai appelé son enseignante et elle m’a dit qu’Adèle n’avait pas participé aux derniers tests parce qu’elle était malade – alors qu’elle n’était pas malade du tout. Il était clair que cela ne pouvait pas continuer ainsi. Adele était triste, repliée sur elle-même, et souffrait. Et lors du deuxième examen psychiatrique, le diagnostic a été clair. 

Comment t’es-tu sentie quand tu n’es pas allée aux examens, Adele? 

Adele:J’ai du mal à me concentrer et j’oublie donc beaucoup de choses. On s’entraîne, mais ça ne marche pas ou on ne trouve pas le sujet intéressant et on n’a pas envie d’apprendre. Dans ce cas, il vaut mieux rester à la maison que d’avoir une mauvaise note. C’est pour cela que j’agissais ainsi la plupart du temps. À l’adolescence, il est difficile de gérer le TDAH.

Quel est l’impact du TDAH sur ton quotidien, Ricky?

Ricky:Les conséquences sont énormes! On a une vie très différente de celle des gens qui traversent la vie de manière linéaire, qui ont un plan précis. Ces personnes réservent leurs vacances des mois à l’avance, pensent aux assurances nécessaires et à tout ce qui va avec. Tout cela n’existe pas dans mon monde. Le diagnostic a été un soulagement pour moi, mais mon quotidien n’en est pas moins – je le dis maintenant affectueusement – chaotique. Car le chaos est dans la tête. Il y a sans cesse de nouvelles choses et je ne peux pas déconnecter. En même temps, j’ai vraiment beaucoup appris sur mon comportement et mon impact sur les autres. Écouter quelqu’un, laisser les autres finir de parler et ne pas surcharger les gens avec tout ce qui bouillonne en moi, c’est vraiment un défi quotidien. 

Et sur toi en tant que mère?

Ricky:Quand les enfants étaient petits, nous bricolions et peignions beaucoup et nous faisions toujours quelque chose de nouveau. Même des choses un peu folles. Nous avons par exemple escaladé des collines et en sommes redescendus en roulant. Je trouvais cela bien, mais j’avais aussi souvent mauvaise conscience, parce que la société dit toujours que les enfants ont besoin de règles claires. Parce que j’ai moi-même du mal avec les règles et l’obéissance, et avec le fait que tout le monde doit tout faire de la même manière. 

Ricky (49 ans) travaille comme éducatrice dans une école à journée continue. Elle vit à Bienne avec sa fille Adele (14 ans), son mari et son fils de 18 ans. La famille s’y sent très bien, car la ville est très colorée, multiculturelle et variée. Adele fréquente l’école secondaire bilingue. Plus tard, elle souhaite exercer un métier créatif, par exemple comme graphiste ou illustratrice.

Comment le TDAH influence-t-il ta mère?

Adele:Ma mère devient très vite émotive. Je ne veux pas juger ça maintenant… Elle n’est pas ultra-sensible, mais quand elle passe une mauvaise journée ou qu’il arrive quelque chose de grave, elle devient vite émotive. Mon père lui dit alors: «Calme-toi, nous n’avons pas besoin de laisser parler nos émotions maintenant.» Ce qui n’aide pas du tout, mais je ne sais pas s’il le sait. Nous essayons de lui dire. Mais ma mère et moi nous entendons très bien, car nous avons toutes les deux un TDAH. C’est ce qui nous unit. 

Ricky, quels outils et stratégies as-tu développés pour mieux gérer ton quotidien?

Ricky: Avant, j’avais toujours des «notes de maman» avec 25 tâches par jour. Et quand je n’en réussissais pas cinq, j’étais de très mauvaise humeur. Plus tard, j’ai compris que c’est le manque de dopamine qui nous donne cette impression: «Je n’y arriverai pas, je ne suis pas assez bonne.» J’ai dû apprendre à dire non. Je me charge toujours trop et quand je rentre à la maison le soir, je me sens complètement épuisée. Et quand, en plus, toute la famille me demande quelque chose, c’est parfois trop. Les balades, le vélo et le yoga m’aident. Il s’agit avant tout de ne pas me surmener et de réduire le stress.

«Les balades, le vélo et le yoga m’aident. Il s’agit avant tout de ne pas me surmener et de réduire le stress.»

Adele, qu’est-ce qui t’aide à mieux te concentrer et t’organiser?

Adele:La musique, surtout. J’ai généralement des écouteurs sur les oreilles lorsque je dessine ou que j’étudie. Ou bien rester seule. Et de la variété: travailler une demi-heure, puis faire autre chose pendant dix minutes. Les pauses sont importantes. Quand j’apprends ou que l’enseignante explique quelque chose, je dessine toujours. C’est génial et ça m’aide à me concentrer. C’est si agréable et apaisant.

Vous prenez des médicaments?

Ricky:Au début, je prenais de la Ritaline, mais j’ai arrêté parce que c’était trop pour moi. Je me sentais certes plus claire, plus éveillée et plus structurée, mais cela me demandait beaucoup d’énergie. Aujourd’hui, je prends Elvanse à faible dose les jours où je travaille.  Je travaille dans une école à journée continue. C’est très bruyant, très sauvage et on est toujours confronté à des milliers de besoins. Je m’en sors très bien tout au long de la journée et je peux travailler de manière structurée.  Quand c’est vraiment trop pour moi, je me rends compte maintenant que j’ai besoin d’une pause. Il m’a fallu longtemps pour comprendre ce qui m’aidait à bien fonctionner. 

Adele:J’ai pris le médicament Elvanse pendant un certain temps. Ça m’a aidé pendant un moment, puis ça n’a plus fait effet. Après cela, je n’avais plus envie de rien. Maintenant, je ne prends plus de médicaments. La thérapie s’améliore aussi sans. Le thérapeute m’aide à mieux me comprendre.

Quelle qualité que tu aimes chez toi est renforcée par le TDAH?

Adele:«Quand j’aime vraiment quelque chose, je peux me concentrer pleinement dessus et travailler réellement. C’est vraiment cool. Et j’ai aussi beaucoup d’imagination.  Ricky: Pour moi, cette créativité est aussi une grande liberté. Parfois, mes collègues de l’école à journée continue manquent d’idées. J’ai juste besoin de trois objets et j’ai tout de suite une représentation visuelle – Adele aussi, d’ailleurs. C’est vraiment cool. Et si Adele et moi mettons en œuvre des idées ensemble, alors tout va pour le mieux. La collaboration est agréable et sans contraintes. Nous tournons en rond, nous faisons les idiotes et aussi des trucs géniaux.  Adele s’intéresse à beaucoup de choses. J’aime cette ouverture d’esprit. L’intérêt ne dure parfois pas longtemps, chez moi non plus, mais c’est bien qu’il soit là. C’est aussi un don.

«Quand j’aime vraiment quelque chose, je peux me concentrer pleinement dessus et travailler réellement. C’est vraiment cool. Et j’ai aussi beaucoup d’imagination.» Adele

Avez-vous toutes les deux des rituels ou des habitudes qui vous aident à faire face aux défis du TDAH?

Ricky:Parfois, nous regardons une série Netflix entière en une nuit, en mangeant énormément de chips, jusqu’à ce que cela nous écœure. Cela m’aide toujours. Ou par exemple demain, nous avons convenu de faire un puzzle. 

Adele:J’ai offert plusieurs bons à maman, pour des choses que nous pouvons faire ensemble. Elle peut toujours en choisir un. Il y a aussi les puzzles. 

Ricky:Avec tout ce processus de détachement, les rituels ne sont pas toujours simples à la puberté. Nous ne sommes pas une équipe mère-fille qui papote toute la journée, et nous ne sommes pas non plus les meilleures amies. Je ne pense pas que cela soit une obligation. De temps en temps, Adele m’envoie de la musique. Je l’écoute et je lui dis: «Waouh, j’aime bien.» Puis je lui envoie à mon tour quelque chose et elle me dit: «C’est cool!»ou bien «Oh non, maman, c’est franchement nul!».». Mais les rituels et le TDAH ne vont pas vraiment ensemble. Un jour, nous avions décidé de nous installer le dimanche sur le canapé, chacune à lire un livre. Malheureusement, cela ne fonctionne pas du tout. Par contre, des petites choses sympathiques comme aller manger une glace de temps en temps ou quelque chose comme ça, c’est bien.

Comment vous soutenez-vous mutuellement dans la gestion du TDAH?

Ricky:Le TDAH n’est pas un sujet quotidien chez nous. Mais il est agréable de se dire dans une situation donnée que nous fonctionnons de la même manière, que nous pouvons le comprendre. Cela dit, Adele est en pleine puberté et moi en ménopause – d’autres hormones que les neurotransmetteurs entrent en jeu, qui ne fonctionnent pas aussi bien chez nous, les personnes atteintes de TDAH, que chez les autres.

Adele:Nous nous entendons très bien et peu importe que nous soyons atteintes de TDAH ou non.

Qu’attendez-vous du personnel enseignant, de votre entourage et de la société dans leurs rapports avec les personnes neurodivergentes?

Adele:J’ai une enseignante qui m’aide beaucoup et me propose constamment d’autres façons d’apprendre. Je trouve cela très bien. Mais en fait, je pense que quand on a un TDAH, on n’est pas malade. C’est pourquoi il n’est pas si grave pour moi que quelqu’un n’y prête pas attention. Je suis toujours Adele. 

Ricky:Du côté de l’école, il existe de nombreuses offres, par exemple pour qu’Adele ait plus de temps pour les tests ou qu’elle puisse se retirer lorsqu’une situation devient trop difficile pour elle. L’enseignante est vraiment très patiente. Elle redonne toujours du courage à Adele et lui dit: «Viens, tu vas y arriver. Viens à l’école, reste là, mais essaie de relâcher la pression.» La situation s’est nettement améliorée de cette manière.

Que conseilleriez-vous à d’autres familles qui se trouvent dans une situation similaire?

Adele:De suivre une thérapie.

Ricky:Oui, absolument! Il est important de savoir ce qui nous fait du bien. Et mon conseil aux parents: essayez d’écouter, de vous concentrer vraiment sur l’enfant et de réduire le stress. D’une manière générale, j’aimerais encore ajouter ceci: on entend souvent dire des personnes atteintes de TDAH: «Ce sont des gens qui ne peuvent pas faire grand-chose.» Ce n’est pas vrai. Les bons jours, une personne neurodivergente est trois fois plus performante que le reste de l’équipe. Mais pour cela, elle a peut-être besoin de rester à la maison une journée pour se reposer. En tant que société, ne devrions-nous pas travailler davantage pour pouvoir utiliser et porter cette diversité?

Le TDAH est-il un diagnostic à la mode?

Le TDAH est un trouble du développement neurobiologique. Les substances messagères présentes dans le cerveau ne sont pas équilibrées et des erreurs surviennent dans le traitement des informations. Inattention, hyperactivité et impulsivité sont des symptômes typiques (pour en savoir plus, cliquez ici).  

De nombreux diagnostics tardifs

Le TDAH passe souvent inaperçu chez les femmes et les filles, car aujourd’hui encore, on les incite à ne rien dire – elles tournent alors souvent les symptômes vers l’intérieur. Leur hyperactivité se manifeste plutôt par une agitation intérieure ou des rêves éveillés. Ces dernières années, on s’est beaucoup demandé si le TDAH était un phénomène de mode.  Le Dr méd. Wolfgang Prinz, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie de l’enfant et de l’adolescent à Bienne, déclare à ce sujet: «Le fait est qu’aujourd’hui, grâce à l’amélioration du diagnostic et à une sensibilisation accrue, le TDAH est diagnostiqué plus souvent. Autrefois, les personnes concernées étaient souvent considérées comme agitées, paresseuses ou stupides et abandonnées à leurs souffrances. Dans le même temps, il est important de poser des diagnostics fondés et non à la va-vite.»


Partager cette inscription


En cas de questions sur l’assurance
Lu - Ve, de 8 h à 17 h

Votre assurance pour une vie saine.